F/MB
DOSSIER N° 98/00166
ARRET DU 17 SEPTEMBRE 1998
3ème CHAMBRE

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    COUR D'APPEL DE    
TOULOUSE


3ème Chambre
N° 810

Prononcé publiquement le Jeudi 17 Septembre 1998, par la 3ème Chambre des Appels Correctionnels.

Sur appel d’un jugement du T.G.I. DE FOIX du 6 JANVIER 1998

Retour PARTIES EN CAUSE DEVANT LE COUR :

Les prévenus sont assistés de Maître ROQUAIN et de Maître GARSON, avocats au barreau de Toulouse.

Retour RAPPEL DE LA PROCEDURE :

LE JUGEMENT :
Le tribunal, par jugement en date du 6 janvier 1998, a déclaré :

SUR L’ACTION CIVILE :
LES APPELS :
Appel a été interjeté par :
DEROULEMENT DES DEBATS :

A l’audience publique du 8 juillet 1998, le Président a constaté l’identité des prévenus.

Ont été entendus : ...

Le Président a ensuite déclaré que l’arrêt serait prononcé le 17 septembre 1998.


Retour DECISION :

MM. EVANS, Mac CULLOCH et Madame TWO ont relevé appel le 09/01/1998 des dispositions pénales et civiles du jugement rendu le 06/01/1998 par le tribunal correctionnel de FOIX.

Ces appels, réguliers en la forme et interjetés dans le délai légal, sont recevables.

Les faits à l’origine de la procédure sont les suivants :

Le 16 septembre 1996, sur dénonciation émanant de Monsieur VIGNE, demeurant au lieu-dit Tapia, commune de Dun, les gendarmes de la brigade de Mirepoix ont procédé à une enquête sur un chantier de réfection de la toiture d’une maison située dans ce hameau et appartenant à Mme Sarah TWO, ressortissante britannique.

Les investigations effectuées ont permis d’établir que la propriétaire des lieux, membre de l’association " Système d’Echange Local " (S.E.L.) pyrénéen, avait confié ces travaux à M. Robert EVANS, demandeur d’emploi, et à M. John Mac CULLOCH, enseignant, tous deux ressortissants anglais, également adhérents à cette association.

Mme TWO déclare avoir acheté des fournitures pour un montant proche de 20.000 francs.

Elle précisait que les outils et une bétonnière avaient été amenés par MM EVANS et Mac CULLOCH, que les travaux avaient duré environ 15 jours, que les exécutants de l’ouvrage ne venaient pas tous les jours ni à des heures régulières, ce que les intéressés devaient confirmer.

La prestation réalisée a été évaluée à 4000 grains de sel, comptabilisés pour 2000 grains au crédit de chacun dans les comptes de l’association.

Dans le cadre de l’enquête, sur réquisition à personne qualifiée, les travaux effectués sur la toiture de Mme TWO ont été chiffrés à une somme totale de 30.155,55 F HT.

En première instance, les trois prévenus ont sollicité leur relaxe.

La Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics, ainsi que la CAPEB, se sont constituées parties civiles.


Retour LES DEMANDES DEVANT LA COUR :

Mme TWO, MM. EVANS et Mac CULLOCH demandent à la Cour de dire et juger que les conditions de l’infraction de travail clandestin ne sont pas réunies, que la recherche d’un profit est inexistante et qu’aucun élément intentionnel n’est établi. Ils font valoir :

Les prévenus ajoutent que MM EVANS et Mac CULLOCH, qui n’ont aucune qualification de menuisier, charpentier ou couvreur, n’étaient pas immatriculables au répertoire des Métiers ; qu’ils n’exercent aucune activité du bâtiment et que si une telle activité était reconnue, elle serait en deçà de l’accessoire.

Ils soutiennent qu’aucun d’eux n’était assujetti à déclaration aux organismes de protection sociale et à l’administration fiscale et se réfèrent à la notion de bénévolat pour qualifier leurs relations.

Ils estiment que la preuve d’une intention coupable n’est pas rapportée, compte-tenu de leur personnalité et du but recherché, à savoir la solidarité et l’entraide.

Les prévenus entendent en conséquence être relaxés des fins de la poursuite, et concluent à l’irrecevabilité des constitutions de parties civiles.

Le Ministère Public requiert la confirmation du jugement.

Il fait observer que ce qui est reproché, en l’espèce, c’est une activité de prestation de services à but lucratif pour des travaux d’une certaine importance, que la présence de deux parties civiles atteste du caractère de concurrence déloyale susceptible de développer de telles activités.

Il souligne qu’il s’agit d’une activité dangereuse, et que l’ordre public social est atteint, puisque le comportement délictueux de Mme TWO aboutit, même si le risque d’accident du travail a été accepté par MM EVANS et MacCULLOCH, à les priver de toute protection sociale, sauf celle découlant de la société au titre de l’assistance à personne en précarité.

Il estime que la durée des travaux, leur fréquence, leur importance, suffisent à caractériser l’élément intentionnel.

La F.B.T.P. de l’Ariège conclut à la confirmation du jugement et sollicite une indemnité de 5000 francs en application de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale.

La CAPEB demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu les prévenus dans les liens de la prévention, mais de le réformer en ce qu’il lui a alloué 1 F à titre de dommages-intérêts.

Elle réclame la condamnation solidaire des prévenus à lui payer la somme de 20.000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que 5.000 F sur le fondement de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale.


Retour MOTIFS DE LA DECISION

SUR LA CULPABILITE :

Attendu qu’au termes de l’article L.324-9 du code du Travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 mars 1997, le travail clandestin est la dissimulation de tout ou partie de l’une des activités mentionnées à l’article L324-10 et exercées dans les conditions prévues par cet article ;

Que selon l’article L.324-10 du même Code, est réputé clandestin l’exercice à but lucratif d’une activité de production , de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne physique ou morale qui s’est soustraite intentionnellement à l’une quelconque des obligations suivantes :

  1. Requérir son immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire ;
  2. Procéder aux déclarations exigées par les organisations de protection sociale et par l’administration fiscale ;
  3. En cas d’emploi de salariés, effectuer au moins deux des formalités prévues aux articles L.143-3, L.143-5 et L.620-3 du même Code.

Attendu qu’en l’espèce il est reproché à MM EVANS et Mac CULLOCH d’avoir exercé à but lucratif l’activité d’artisan maçon sans requérir leur immatriculation obligatoire au répertoire des métiers et sans procéder aux déclarations exigées par les organismes de protection sociale et par l’administration fiscale ;

Que Mme TWO est prévenue d’avoir sciemment recouru aux services de ces travailleurs clandestins ;

Attendu que les poursuites situent en conséquence les relations ayant existé entre Mme TWO d’une part, et MM EVANS et Mac CULLOCH d’autre part dans le cadre d’un contrat d’entreprise ; qu’un tel contrat peut être défini comme la convention par laquelle une personne s’oblige contre rémunération à exécuter un travail de façon indépendante et sans représenter son co-contractant ;

Attendu qu’il ressort des éléments de l’enquête que MM EVANS et Mac CULLOCH ont exécutés les travaux de réfection de la toiture de Mme TWO en apportant le matériel nécessaire à cette exécution ;

Que Mme TWO a seulement fourni les matériaux ;

Que MM EVANS et MacCULLOCH ont travaillé sur ce chantier sans contrainte de jours et d’heures ;

Attendu que Mme TWO, qui n’a aucune compétence technique en matière de travaux du bâtiment, n’était manifestement pas en mesure de leur donner une quelconque directive, qu’elle n’organisait pas le travail des intéressés ;

Que l’existence d’un lien de subordination entre Mme TWO et MM EVANS et Mac CULLOCH fait défaut en l’espèce et qu’il s’agit bien d’un contrat d’entreprise et non d’un contrat de travail salarié ;

Attendu qu’il convient de rechercher si les conditions d’application de l’article L 324-10 sont réunies ;

Attendu que la réparation d’une toiture constitue incontestablement une activité artisanale entrant dans le champ d’application de ce texte ;

Attendu que la valeur de la prestation accomplie par Robert EVANS et John Mac CULLOCH a été fixée à 4000 grains de sel, soit 2000 grains pour chacun ;

Qu’il y a eu ainsi en contrepartie du travail effectué un crédit en grains de sel, d’un montant déterminé, constituant une véritable rémunération ;

Attendu qu’en conséquence le but lucratif de l’activité est établi ;

Attendu que la notion d’échange telle que définie par l’article 1702 du Code Civil doit être écartée, en l’absence de réciprocité de prestations ;

Qu’il ne s’agit pas davantage d’un acte bénévole, motivé par des liens d’amitié, affectifs ou familiaux ni d’une entraide spécifique aux activités agricoles ;

Attendu que l’article L.324-10 vise l’obligation de requérir son immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés lorsqu’elle est obligatoire ;

Que toutefois, en vertu de l’article 3 du décret du 10 juin 1983, ne sont pas soumises à l’obligation d’immatriculation les personnes qui n’exercent l’activité qu’à titre occasionnel ou qu’à titre accessoire et de peu d’importance ;

Attendu qu’en l’occurrence les travaux exécutés par les prévenus EVANS et Mac CULLOCH concernent un seul chantier ; que rien dans la procédure ne permet d’affirmer que les intéressés ont réalisé d’autres chantiers du même type ;

Que le caractère occasionnel de l’activité doit être retenu ;

Attendu par ailleurs qu’il n’est pas contesté que MM. EVANS et Mac CULLOCH ne sont titulaires d’aucun diplôme en matière artisanale ;

Attendu que s’agissant de l’importance des travaux, il y a lieu d’observer que, selon l’évaluation réalisée par la CAPEB, ils correspondent à 15.000 F pour chacun des deux prévenus les ayant exécutés; qu’un tel revenu est sans conteste en deçà des seuils d’imposition en la matière ;

Attendu qu’il convient par conséquent de considérer que la preuve du caractère obligatoire de l’immatriculation de M. EVANS et M. Mac CULLOCH n’est pas rapportée ;

Qu’il en est de même par voie de conséquence de l’obligation de déclaration aux organismes de protection sociale et à l’administration fiscale; 

Attendu que tous les éléments constitutifs de l’infraction de travail clandestin ne sont donc pas réunis à l’encontre de M. EVANS et de M. Mac CULLOCH ;

Qu’il y a donc lieu d’entrer en voie de relaxe à l’égard des trois prévenus.

SUR L’ACTION CIVILE :

Attendu que les constitutions de parties civiles doivent être déclarées irrecevables .

Retour PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Reçoit M. EVANS, M. Mac CULLOCH, Mme TWO et le Ministère Public en leurs appels,

Infirme le jugement,

Relaxe les prévenus des fins de la poursuite,

Déclare irrecevables les constitutions de parties civiles de la Fédération du Bâtiment et Travaux Publics et de la CAPEB de l’Ariège.

Lecture faite, le Président a signé ainsi que le Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT